Le label Born Bad va sortir la première compilation de référence consacrée à Mohamed Mazouni, le dandy algérien qui, installé en France dès 1969, fut adulé par la communauté algérienne avant de tomber dans l’oubli. Ressuscitée par une reprise de Rachid Taha, son œuvre enfin rééditée raconte toute une époque, entre Paris et Alger, traditions et yéyés.
« J’avais une petite voix, j’ai composé avec ! », disait l’artiste né à Blida en 1940, conscient de ses limites vocales. Mais il maniait l’art de la mélodie à merveille, et ce dès ses débuts, alors que l’Algérie fête son indépendance. Dans une euphorie généralisée, en 1962, le gouvernement encourage les odes à la dignité retrouvée du pays. De son côté, Mazouni se fera remarquer par un morceau très engagé, « Rebtouh Fel Mechnak » (Ils l’ont attaché à la guillotine). Le grand public le découvre lors d’un concert retransmis par la RTA (Radiodiffusion Télévision Algérienne), ce qui lui permet d’intégrer la troupe artistique du TNA (Théâtre National Algérien). Pour saluer l’indépendance, il chante « Adieu la France, Bonjour l’Algérie ». Une chanson que reprendront bien plus tard les frères Mouss et Hakim du groupe Zebda.
Après le coup d’État de Boumediene, le 19 juin 1965, alors que l’Algérie adopte un profil à la soviétique où tout est planifié, la musique subit la censure et la surveillance accrue de la sécurité militaire. On assiste à la multiplication des associations vouées à l’arabo-andalou et à l’émergence d’une chanson courtisane chargée de faire passer les messages du pouvoir.
En 1969, Mazouni quitte l’Algérie pour s’établir en France. Alors que dans les années 60, l’atmosphère n’était guère accueillante pour les artistes exilés, certains avaient emprunté des noms occidentaux pour masquer leurs origines, comme l’Algérien Laïd Hamani, plus connu sous le pseudonyme de Victor Leed, un rocker qui avait fait les beaux soirs du Golf Drouot, ou le Berbère marocain Abdelghafour Mociane autoproclamé Vigon, une sacrée voix du r&b. D’autres, nettement plus nombreux, ont fait leur carrière à l’ombre des cafés tenus par leurs compatriotes, évoluant sur des scènes de fortune. Entre Bastille, Nation, Saint-Michel, Belleville et Barbès, le public, exclusivement communautaire et généralement masculin, venait les week-ends applaudir les chanteurs annoncés.
Inspiré par des artistes de l’exil tels Slimane Azem, Akli Yahiaten ou Cheikh El Hasnaoui, et par les folles années du twist et du rock, pendant 20 ans Mazouni aligne de nombreux tubes comme « Mini-Jupe », « 20 ans en France », « Camarade » (repris par Rachid Taha), « Dis-moi c’est pas vrai » ou « Je suis le Chaoui », hymne fédérateur de toutes les régions d’Algérie. Sa force réside dans des textes en arabe compréhensible par tous ses compatriotes (il chantait aussi en kabyle et en français) et des mélodies accrocheuses influencés par le patrimoine algérien, à grand renfort de derbouka, qanûn (cithare), târ (petit tambourin pourvu de cymbalettes), oud et parfois guitare électrique pour les compositions plus yé-yé. Avec son humour grinçant et son mélange de styles fédérateur, il dénonce également le racisme et les conditions épouvantables des travailleurs immigrés.
Baignant dans cette atmosphère de l’exil, Mazouni, dandy bouleversé par son siècle et toujours tiré à quatre épingles, usant de son charme et de la justesse de sa voix pour tirer son épingle du jeu aura énormément bénéficié de l’impact des scopitones, ancêtres des clips, machines diffusant aussi bien des images que du son, incontournables dans les nombreux bistrots tenus par les immigrés. Cela lui vaudra le surnom de « chanteur polaroïd ». Un documentaire, Trésors de Scopitones arabes, kabyles et berbères de Michèle Collery et Anaïs Prosaïc, l’aura justement remis à l’honneur à la fin des années 90, tout comme les artistes qui reprendront bien plus tard ses titres (Rachid Taha, Mouss & Hakim, l’Orchestre National de Barbès). À la fois conformiste (il fait la morale sur l’infidélité ou le mariage mixte) et dérangeante (le trouble à la vue d’une mini-jupe, la drague au lycée…), sa façon de parler des lycéennes, des voitures et des lieux de plaisir lui vaut les faveurs des jeunes zazous immigrés de France.
– Toi debout devant la porte
C’est combien la passe ?
– Je ne monte pas avec toi
Parce que tu es un Arabe
– Regardez-moi cette salope
Raciste même quand il s’agit d’amour tarifé…
« L’amour Maâk » (l’amour avec toi)
Durant la guerre du Golfe, il soutient la position de Saddam Hussein à travers le titre provocateur Zadam Ya Saddam (Fonce Saddam !). Interdit de séjour en France pendant cinq ans, il y reviendra en 2013 pour un concert à l’Institut du monde arabe où il apparaît habillé en bédouin, comme à ses ses débuts.
Vivant en Algérie, Mohamed Mazouni n’a pas arrêté de chanter et s’est même permis de signer quelques succès locaux, toujours placés sous le signe du « visons large ». Cette compilation, la première qui lui est consacrée, regroupe l’ensemble de ses « hits », jamais réédités, avec, en prime, des titres, comme « L’amour Maâk », « Bleu Délavé » ou « Daag Dagui », introuvables sur le marché.
Mazouni, Un dandy en exil (Algérie-France 1969-1983), sortie le 24 mai chez Born Bad Records.